10/10/2008

Philippe Adrien traducteur de l'inconscient du siècle

Avec Ivanov, Philippe Adrien nous montre qu'il n'a rien perdu de sa précision de "plombier de l'inconscient", ainsi que l'avait nommé Michel Cournot. Il donne une traduction (avec Vladimir Ant, aux éditions de L'Arche) et une mise en scène de cette pièce où Tchekhov exerce sans complaisance, mais sans cruauté non plus, son regard de médecin. L'auteur y dissèque une âme humaine en prise aux angoisses de la modernité naissante : aboulie, frustration, cupidité et dégoût de soi, autant de complexes qui définissent la "pelote" d'Ivanov et font du spectacle d'Adrien une réflexion sur le malaise dans la civilisation moderne.

C'est le traitement du temps qui fait la grande réussite de ce spectacle à la fois rythmé, drôle et appesantie par l'amertume et la désillusion. La pièce qui traite pourtant de l'ennui et de l'enlisement bourgeois est menée sur un ton léger - légèreté incarnée par l'adorable et tourbillonnante Alexandrine Serre dans le rôle de Sacha. Les personnages courent bien à leur perte, mais sans gravité. Invention de la mise en scène allant dans le sens de l'allègement du rythme (mais de l'enfoncement dans le drame) : les changements d'acte sont confiés à un personnage subalterne récurrent, un étudiant alcoolique, dépenaillé et flambeur qui vient haranguer le public et s'enfonce chaque fois un peu plus dans la déprime. Les scènes de fête et de beuveries s'enchaînent avec une morne allégresse. L'acte II s'ouvre ainsi sur un tableau onirique dans lequel on voit la micro-société gravitant autour des Lebedev s'extirper au ralenti des tréfonds de la scène (fond fuligineux où l'on distingue par instants des silhouettes décharnées, voilà le "jardin" des Lebedev...)

Adrien plante au milieu de son décor une machine, symbole de la Russie triomphante, de la frustration d'Ivanov (inventeur autant que mari raté), ou du théâtre. Un personnage sans âme qui prend vie à la fin du spectacle. Tout se passe comme si le spectateur se retrouvait dans l'oeil cyclone juste avant l'image finale, furtive mais "achevant" au sens propre la pièce de Tchekhov : la machine crissante et grinçante, rouage infernal du goulag à venir, symbole de l'échec du siècle.

Traducteur, Philippe Adrien ne l'a pas été à moitié en prenant en charge toute l'énigme et la clairvoyance de la pièce de Tchekhov. Un des plus beaux spectacle de 2008 par un des rares metteurs en scène (mais aussi auteur et traducteur) osant encore affirmer sa passion du texte et donnant à cette passion un sens politique : "Le Théâtre, celui que l'on nomme théâtre de paroles, et qui n'aurait pas tant d'importance - à quoi bon se parler, discuter? - permet de toucher au mystère de ce qui nous occupe. C'est sa fonction. Il la tient du dialogue dramatique, de cette dialectique qui depuis les Grecs est au principe de notre art comme de notre culture. En démocratie, tout le monde y a droit et c'est une des raisons qui fonde l'idée d'un théâtre public soutenu par le pouvoir politique." (Présentation de la saison 2008 2009). En subtilité.

Au Théâtre de La Tempête jusqu'au 9 novembre.

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